• Nouvelle : Lire et frémir

     

    Une lointainePaysage hivernal (Lilou) parente

    Laissez-moi, mes chers amis, vous raconter une bien étrange histoire que j’ai vécue lorsque j’étais plus jeune. Aujourd’hui encore, je ne peux expliquer avec certitude ce qui m’est réellement arrivé ! Aussi j’aimerais vous en faire part, car vous pourriez peut-être trouver l’explication qui me fait toujours défaut.

    C’est par une sombre après-midi d’hiver, alors que le vent qui soufflait était glacial, que j’arrivai à Saint Jean d’Angély pour rendre visite à mes parents. Je ne les avais pas revus depuis que j’avais quitté ma ville natale pour habiter Paris. J’étais heureux et impatient de les retrouver.

    Sachant que le château familial était en cours de rénovation, je décidai de passer la nuit dans les chambres d’hôtes de l’Abbaye Royale. J’avais toujours admiré ce gigantesque monument qui se dressait fièrement, dominant toute la ville. Ma chambre se trouvait au troisième étage et je restai quelques temps à la fenêtre pour profiter de la vue qui s’offrait à moi.

    Mais pris dans mes pensées, je perdis toute notion de temps. Les cloches de l’église provisoire me rappelèrent qu’il était grand temps que je me mette en route. Mes parents m’attendaient pour dîner et le château se trouvait isolé du centre-ville. Tout à la joie de nos retrouvailles, car mes parents avaient réussi à réunir à la fois mes frères et sœurs et mes amis d’enfance, nous passâmes une délicieuse soirée ! Comme la fatigue du voyage se faisait sentir et qu’il se faisait tard, je décidai de prendre congé. Malgré l’insistance de ma mère pour que je reste au château ce soir-là, je pris la route pour me rendre à l’Abbaye.

    Sans doute aurai-je dû l’écouter, car le froid de la nuit, attisé par le vent qui soufflait de plus en plus fort, me saisit jusqu’aux os. Fort heureusement, c’était une nuit de pleine lune qui éclairait chacun de mes pas car à cette heure-là, je ne rencontrai pas âme qui vive. Lorsque j’arrivai dans ma chambre, j’eus l’agréable surprise de constater qu’on y avait allumé un feu. Je m’y précipitai aussitôt afin de me réchauffer car j’étais transi de froid et je commençai à me sentir fébrile. M’asseyant au coin du feu, j’eus le loisir de regarder ma chambre qui se composait d’un grand lit à baldaquin, d’un miroir orné d’or et d’argent ainsi que d’une coiffeuse. Mes affaires avaient été déposées au pied de mon lit.

    Soudainement, je crus voir apparaître, à travers le miroir, une femme, revêtue de ce qui semblait être un linceul blanc, maculé de sang. Elle eut le temps de crier : « Vous allez le regretter ! », avant de disparaître. Je crus m’être assoupi et avoir rêvé mais j’aperçus une lettre posée sur mon lit. Elle était à mon nom !

    Je l’ouvris et la lus : « Rejoignez-moi à la fontaine, ouvrez la trappe, je vous y attendrai. ». Une force mystérieuse m’anima et tel un somnambule, je mis mes chaussures et partis vers cette fameuse fontaine…

    Les rayons de la pleine lune illuminaient le puits. De nouveau, devant moi apparut cette femme habillée d’une robe blanche. Elle semblait sortir du puits ! J’avais l’impression qu’elle flottait dans les airs, tel un fantôme ! Je n’étais plus sûr de rien, ma perception de la réalité semblait être émoussée ! Tout cela était-il bien réel ou n’était-ce que le fruit de mon imagination ? Alors que j’étais perdu dans mes pensées, la femme saisit brusquement ma main et m’entraîna avec elle. Le contact de sa main me parut étrange, mes yeux glissèrent doucement, sa main était blanche et glaciale ! Mes jambes ne me portaient plus, le sol se déroba soudain sous moi et c’est alors que je me rendis compte que nous volions ! Nous survolions cette ville que j’aimais tant ! Étrangement, je n’avais plus peur ! Pourtant cette femme avait tout du fantôme !

    Puis, par je ne sais quelle explication, je me retrouvai, seul, dans ma chambre, au coin du feu qui crépitait ! L’angoisse me serra à nouveau le cœur. Que m’était-il arrivé ? Ne sachant que faire pour retrouver un peu de quiétude, je décidai de fermer à clé la porte de ma chambre. C’est à ce moment précis que j’entendis des pas monter l’escalier et s’arrêter devant ma porte. On toqua trois coups secs. Mais alors que je venais de fermer la porte à clé, elle s’ouvrit d’elle-même ! Terrorisé, je courus me cacher dans l’armoire, mais intrigué par cet inexplicable phénomène, je regardai par le trou de la serrure. De nouveau, j’aperçus cette forme humaine, enveloppée de brume !

    Il me sembla sentir un souffle glacé glisser le long de mon cou… Mais avant de pouvoir réagir, j’eus l’impression que la même force invisible me tirait pour me sortir de l’armoire. Je tentai de me débattre mais cette créature avait beaucoup plus de force que moi ! Elle m’entraîna dans les souterrains de l’Abbaye. Tout cela était si terrifiant que je crus que j’allais défaillir ! Subitement, elle desserra son étreinte et me lâcha. J’eus, à cet instant, tout le loisir de l’observer. C’était bien la même femme que tout à l’heure, ou devrais-je plutôt dire le même fantôme ! Je reconnus sa silhouette légèrement transparente. Elle se mit à me parler :

    - N’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal, dit-elle pour tenter de me rassurer. Chaque soir de pleine lune, je reviens me promener dans cette belle Abbaye. J’ai été tellement heureuse ici, autrefois !, poursuivit-elle.

    - Que vous est-il arrivé ? Pourquoi votre robe est-elle tachée de sang ?, bredouillai-je.

    - C’est une longue et malheureuse histoire… Mais sachez d’abord que seuls les descendants de ma famille peuvent me voir. Et si je ne me trompe pas, vous devez être Paul-Henri de Lacour, l’arrière petit-fils de ma tendre sœur ! N’est-ce pas ?, demanda-t-elle.

    Abasourdi par ce que je venais d’entendre, je dus me contenter d’un hochement de tête en signe d’approbation ! Elle poursuivit :

    - Je menais une vie paisible jusqu’à ce triste jour où, alors que je me promenais, je fis la malheureuse rencontre de cet homme qui n’hésita pas à m’ôter la vie pour s’emparer des quelques sous que j’avais sur moi… La tache sur ma robe est la preuve de la violence qui m’a été faite.

    - Tuée ? Mais qui pouvait bien vous vouloir du mal ? Vous connaissiez donc votre bourreau ?, demandai-je en reprenant mes esprits.

    - Oh, oui je connaissais mon assassin ! C’était un homme que mes parents avaient recueilli. Il effectuait de menus travaux dans le domaine familial. Il n’a jamais été soupçonné pour ma mort ! Mais moi, je veux qu’enfin justice soit rendue… même si cela arrive trop tard…, dit-elle tristement. Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase : son corps devenait de plus en plus transparent et elle finit par disparaître tout à fait !

    Je me mis à crier, lui demandant de revenir, de me donner le nom de ce criminel… A cet instant, je me réveillai en sursaut. J’avais l’impression d’avoir entendu quelqu’un crier ! Etait-ce moi ? Non, cela ne pouvait pas être possible ! J’étais dans mon lit, bien au chaud ! J’avais dû rêver… Mais alors que je me levai pour raviver le feu, je m’aperçus que je tenais dans la main un papier, sur lequel était inscrit : Gaspard Martin !

    Malgré mes investigations, je n’ai pas retrouvé trace de cet individu. Peut-être un jour, croiserai-je sa route ou tout cela n’était peut-être que le fruit d’un esprit épuisé par un long voyage. Voilà, mes chers amis, l’histoire qui, aujourd’hui encore, hante chacune de mes nuits !

    AA.VV. 4e 1 et coll. S. Cousty

    Illustration : Paysage hivernal / Lilou

     


     

    Auria

     C’est en repensant à cette journée riche en préparatifs pour mon futur mariage que j’allai me coucher. C’était un soir d’automne, qui restera à jamais gravé dans ma mémoire…

      La couturière avait presque fini la broderie de ma robe de mariée et je me réjouissais de ma prochaine union avec l’homme que mes parents avaient choisi pour moi, mais pour lequel, néanmoins, j’éprouvais déjà de profonds sentiments.

     Soudain j’entendis mon petit frère m’appeler. Je perçus dans sa voix de l’angoisse et je me précipitai donc à son chevet.

    - Aurore ! Aurore !, cria-t-il.

    - J’arrive, Paul, lui répondis-je.

    - J’ai entendu un bruit, là !

    - Un bruit ? Quelle sorte de bruit ?, lui demandai-je.

    - C’était comme si on tapait sur le mur…mais de l’autre côté…, me dit-il en tremblant.

    - Allez, ce n’est sûrement pas grand-chose. Essaie de te rendormir, je ne suis pas loin, lui dis-je en tentant de le rassurer.

     Une fois sa respiration redevenue calme, je retournai dans ma chambre. Mais alors que j’étais en train de me brosser les cheveux, il me sembla entendre un bruit. Je prêtai l’oreille quelques instants mais je n’entendis plus rien. Je décidai qu’il était grand temps qu’à mon tour j’aille me coucher car une journée bien remplie m’attendait le lendemain. J’éteignis les bougies et il me sembla que je m’endormis à peine avais-je posé la tête sur l’oreiller. J’eus l’impression de percevoir malgré tout encore le même bruit…

     Un bruit sourd s’approchant de moi, voilà ce que j’entendis en premier. Alors que j’essayais d’ouvrir les yeux, il me sembla distinguer une jeune fille qui me ressemblait étrangement, à tel point que je crus que l’on avait placé un miroir face à moi ! Je tentai de bouger mais je remarquai alors que ses gestes n’étaient pas les mêmes que les miens.

     Je me retrouvai maintenant, sans que je sache comment, dans la cave, un miroir brisé en deux à mes côtés. Alors que je m’admirais dans la glace, je vis une silhouette à mes côtés. Je me retournai avec une certaine appréhension ! Je restai pétrifiée par le spectacle qui s’offrait à moi : cette personne était mon sosie ! Difficilement, je lui demandai qui elle était, quel était son nom…

    - Je suis Auria. J’ai été peinte par Jean du Bidet. Après la naissance de ton petit frère, tes parents ont préféré mettre son tableau à la place du mien. C’est pourquoi je me suis retrouvée à la cave, m’expliqua-t-elle.

    - Mais alors comment se fait-il que tu sois en dehors du tableau maintenant ?, demandai-je fébrilement.

    - Grâce à ma détermination et de longues années d’expérimentation, j’ai enfin réussi à déchirer ce maudit tableau ! Mais une fois sortie, j’ai trébuché, faisant tomber le miroir qui s’est brisé en deux, ce qui a causé ta venue, rajouta-t-elle.

     Elle me proposa ensuite de la suivre dans les souterrains de la maison car elle devait aller dans sa chambre. Sans vraiment penser à ce que j’étais en train de faire, je décidai de la suivre. Après avoir marché dans le couloir principal, nous tournâmes à droite et entrâmes dans une pièce sombre. Elle me dit alors : « Entre, je reste derrière toi. Et surtout regarde les peintures autour de toi ! ». Je m’exécutai mais alors que je m’attendais à trouver quelques tableaux, c’est un squelette qui attira mon regard ! Quel ne fut pas mon étonnement! Je commençai à me sentir effrayée mais j’arrivai toutefois à murmurer : « Qu’est-il arrivé à cette personne ? ». En se tournant vers moi, elle prononça ces mots qui me glacèrent le sang : « La même chose qu’à toi ! ». Et elle me sauta au cou, un poignard à la main ! Juste avant que le poignard ne me transperce, je réussis à m’échapper et à ouvrir la porte qu’elle avait mal fermée. Je pris la clé et l’enfermai.

     J’aperçus au bout du couloir, malgré l’obscurité, une porte magnifique, ornée de gravures en or. Je ne pouvais pas m’empêcher d’aller vers elle… Et alors que je m’en approchais, je sentis de nouveau une présence à mes côtés : c’était Auria qui avait réussi à s’échapper ! J’éprouvai alors une angoisse effroyable ! En tenant mon bras, elle me dit:

    - Je sens de la tristesse et du malheur, n’y va pas !

    Pourtant, je décidai de l’ouvrir, je découvris une pièce, où il y avait une échelle. Poussée par une force invisible, j’y montai. Une fois tout en haut, j’aperçus, à ma grande surprise, ma maison ! Je vis le salon dans lequel mes parents recevaient des amis, la chambre de Paul, mon petit frère en train de dormir profondément. J’étais à côté d’eux mais ils ne me voyaient pas ! Je leur parlai mais ils ne m’entendaient pas ! Etaient-ils vraiment présents ou bien étais-je victime d’une hallucination ? Terrorisée, je me tournai vers Auria :

    - Pourquoi est-ce que ma famille ne me voit ni ne m’entend ?

    - Quelle question, me répondit-elle de manière diabolique, il n’y a personne dans les souterrains !

     C’est alors que tout ce qui se trouvait autour de moi disparut pour laisser place à une ambiance oppressante… De nouveau, je me retrouvai à marcher à côté d’Auria, dans les souterrains. Mais tandis que nous avancions dans la pénombre, elle disparut encore ! Apeurée, je lui demandai où elle était mais pour toute réponse, elle réapparut et m’attacha les mains pour m’enfermer dans un des cachots du souterrain.

    C’est alors qu’elle me dit :

    - Si tu veux sortir, tu devras me donner ta vie et prendre la mienne !

    - Pourquoi fais-tu cela ? Que t’ai-je fait pour que tu me veuilles autant de mal ?, lui demandai-je en pleurant.

    - Je veux ta vie car moi, je n’ai pas de famille, pas d’amis ! Personne ne m’aime ! Je suis seule !, hurla-t-elle.

    Dès qu’elle eut fini de prononcer ces paroles, elle disparut. Une fois de plus, j’étais seule, pétrifiée à la fois par la peur et le froid. En me laissant tomber sur le sol de ma cellule, je sentis des clés sous moi. Je repris espoir et me demandai s’il y en avait une qui ouvrirait cette satanée porte ! Soudain j’en vis une toute rouillée qui semblait de la même forme que celle de la serrure. Je l’enfonçai… La porte s’ouvrit et je courus sans me retourner.

     Tout à coup, je me levai de mon lit. Il faisait jour. Je remarquai alors que mes doigts étaient tâchés de terre et mes pieds, noirs de saleté. Une peur confuse m’envahit, ne comprenant pas pourquoi ces traces de poussière étaient là ! Avais-je rêvé ? Perdue dans mes pensées, ma mère rentra à ce moment dans ma chambre afin de s’assurer que j’étais prête pour le dernier essayage de ma robe de mariée. Soudain, elle s’arrêta et me demanda :

    - Tiens, que fait cette poupée ici ? Est-ce toi qui es allée la rechercher dans la cave ? Comment s’appelait-elle déjà ? Je crois que c’était Aurélie…non, plutôt Auria ! Quand tu étais petite, vous étiez inséparables !

    AA.VV. 4e 2 et coll. S. Cousty